Source de bien-être, l’odorat peut parfois se retrouver altéré par la maladie.
Heureusement, l’odeur peut nous permettre de nous reconnecter à notre mémoire, et ainsi, à nos souvenirs, notre individualité, bref… à notre vie !
Découvrez, par les mots de Patty Canac (Olfactothérapeute),
« l’Histoire de Monsieur L., la mémoire du café »
"Monsieur L. est un bel homme d'une cinquantaine d'années, au cheveu gris et à l'oeil très bleu, au regard ravagé par la maladie. Il a subi plusieurs accident cérébraux qui ont fortement endommagé sa mémoire. Atteint d'un "oubli à mesure", il ne se rappelle plus ce qu'il vient de vivre et passe beaucoup de temps assis en silence dans un coin, à attendre il ne sait quoi. Il garde toujours son blouson sur les genoux car s'il le range il ne peut plus le retrouver. Il se lie facilement à ceux qu'il croise dans les couloirs de l'hôpital, mais il ne sait jamais à qui il vient de s'adresser ni la teneur de la conversation échangée. "Que vais-je bien pouvoir faire pour lui avec mes petits flacons odorants?" s'est demandé Patty, la première fois qu'il est entré dans son bureau. Et pourtant... ".
"Notre première séance a lieu à 14 heures, Monsieur L. vient de déjeuner. Je lui tends un petit "café olfactif", sans bien sûr lui indiquer dans quel produit j'ai trempé la touche olfactive. Depuis son arrivée dans le service de rééducation neurologique, personne ne l'a jamais vu sourire, aussi je demeure sidérée par l'éclat de rire qui anime son visage à l'instant même où il porte sous son nez la touche imbibée d'odeur :
"Du café, c'est du café ! J'adore ça ! Du café moulu à l'ancienne, comme quand on tirait le tiroir du moulin et que l'odeur vous arrivait en plein nez ! Et puis, le café, je connais bien. Je travaillais dans une entreprise qui importait du café. J'allais en Colombie pour choisir les grains. J'ai voyagé dans toute la zona cafereta, je connaissais les principales plantations dans la région.
Les odeurs... J'aime beaucoup les odeurs... Ca me rappelle des choses... Moi, maintenant, je ne me rappelle plus rien, alors ça, c'est bien pour moi... Cette odeur de café, là, c'est comme une odeur de vie !".
Privé de repères autobiographiques depuis des mois, voilà qu'une odeur de café faisait surgir toute une époque de sa vie passée. La reconnaissance de cette matière première dont il faisait commerce avant son accident a recréé un lien avec sa vie d'autrefois. Monsieur L. vient de retrouver son métier, son honneur.
L'étincelle qui a soudain illuminé son regard et son rire spontané plein de gaieté m'encouragent. La touche olfactive imbibée d'odeur vient de faire resurgir un plan entier de sa mémoire. Je vais pouvoir l'emmener plus loin encore, à la recherche de sa mémoire personnelle.
Cette première séance autour de l'odeur du café a marqué le début d'un travail passionnant au cours duquel, grâce aux odeurs, nous sommes partis à la recherche de ses souvenirs d'enfance, retissant ensemble la toile de son passé. Parallèlement, ce travail a permis à Monsieur L. d'approfondir ses perceptions, d'exprimer ses ressentis vis-à-vis des odeurs perçues.
Au fil des sessions, le monde olfactif est devenu pour lui un véritable outil, un repère dans cet espace-temps que sa mémoire ne maîtrisait plus. En sentant l'odeur du café dans les couloirs de l'hôpital, il savait par exemple que l'heure du petit déjeuner était venue, celle de la soupe lui indiquait l'heure du dîner. Peu à peu, faisant de son odorat un nouvel outil, il a pu réapprivoiser son quotidien et compenser quelque peu les séquelles de son accident".
Les molécules de café senties par Monsieur L. ont atteint sa mémoire, malgré ses défaillances. Si nos différents centres de mémoire ne sont pas forcément dépendants les uns des autres, nous avons vu qu'ils étaient interconnectés par de multiples circuits, que l'on active au moment où l'on fait fonctionner sa mémoire. Des connexions se créent alors entre les centres des mémoires ancienne, récente, consciente, inconsciente, autobiographique, sémantique, etc.
Suite à une amnésie, les connexions entre ces circuits sont fréquemment altérées. Or, l'odeur a l'étonnant pouvoir de réactiver certaines connexions. Chez Monsieur L., l'odeur de café a eu l'effet d'une étincelle. Parvenant à son système olfactif, elle a remis en service certains des circuits de sa mémoire, qui jusqu'alors se court-circuitaient au fur et à mesure.
La reconnaissance par Monsieur L. de l'odeur de café est l'indication que le circuit de sa mémoire sémantique, celle du "je sais", est encore actif, tout comme celui de sa mémoire ancienne, deux centres de mémoire auxquels il n'avait plus accès. Les odeurs ont joué ce rôle de passeur, devenant un outil pour retrouver le chemin d'une mémoire oubliée. Le lien que Monsieur L. a été capable de faire entre cette odeur de café et ses voyages en Colombie nous montre que sa mémoire autobiographique fonctionne encore. Il est probable que cette odeur a déclenché une réaction immédiate et forte car le café a marqué une part importante de sa vie passée.
Dans la plupart des pathologies affectant la mémoire, ce sont les mémoires autobiographique et ancienne qui sont les mieux conservées. Sièges de notre vie passée, elles contribuent fortement à structurer notre identité, nous apportent la conscience d'être ce que nous sommes. C'est en retrouvant le lien avec ces mémoires, grâce aux souvenirs resurgis avec la touche olfactive, que Monsieur L. a retrouvé un sentiment d'identité. "Je suis bien celui qui voyageait pour sélectionner les grains de café...". C'est aussi le surgissement de ces images de Colombie qui permet la continuité entre hier et aujourd'hui : "J'étais un spécialiste du café. Je peux désormais reconnaître sans difficulté cette odeur. Je me retrouve, moi, avec ce qui constitue une part de mon individualité".
SOURCE : "le guide de l'odorat" de Patty CANAC, Editions Ambre.