Un projet fou d'encyclopédie olfactive de l'Europe
Voyager dans le passé grâce à l’odorat, ce sera bientôt possible.
Un groupe d’historiens, d’experts en intelligence artificielle, de chimistes et de parfumeurs va recréer - pour des expositions - les odeurs qu’on trouvait en Europe du XVIe au XXe siècle, et constituer en parallèle
une encyclopédie des odeurs.
Quelle était l’odeur des rues et des campagnes d’Europe au XVIème siècle ? Les senteurs et les parfums du passé sont souvent décrits dans les livres, mais les mots ne permettent pas de les restituer pleinement. Grâce à l'intelligence artificielle, pour la première fois, il sera bientôt possible de « sentir » le passé.
Financé à hauteur de 2,8 millions € par le programme européen Horizon 2020 et étendu sur 3 ans, Odeuropa s'intéresse à la place des odeurs dans les cultures européennes, et sur la manière dont celles-ci ont pu être façonnées, influencées par le fait de sentir.
L'équipe de chercheurs derrière Odeuropa envisage de partir à la recherche d'un maximum d'éléments et de description des odeurs dans les textes du patrimoine européen, mais aussi dans les représentations visuelles de la nourriture ou d'autres éléments dégageant des informations olfactives.
La première étape du projet sera le développement d’une intelligence artificielle dont le rôle sera de scanner des milliers de textes historiques européens rédigés dans sept langages différents. Elle y cherchera les descriptions de parfums en tout genre, et leur contexte, et détectera aussi les éléments aromatiques dans les peintures d’antan. Cette première phase devrait s’achever en janvier 2021.
Les informations ainsi rassemblées aideront à l’élaboration d’une vaste encyclopédie des odeurs de l’Europe d’il y a 100 à 500 ans. On y retrouvera aussi des discussions sur les personnes pour qui ces odeurs ont joué un rôle important, et sur la signification qu’elles avaient pour elles. Cette immense archive indiquera aussi comment les parfums étaient utilisés, et comment ils étaient créés par les ” nez ” de l’époque.
Une Encyclopédie du patrimoine olfactif (Encyclopaedia of Smell Heritage) sera rédigée et mise en ligne par les chercheurs, destinée à devenir une référence en la matière. Elle retracera l'historique des odeurs les plus connues et les plus caractéristiques, mais aussi des pratiques olfactives.
Autre volet de ce projet de recherche, la re-création, en laboratoire, d'odeurs historiques, associées à des « événements olfactifs ». Le but est tout simplement d'engager, dans la découverte patrimoniale et l'apprentissage de notre passé, un nouveau sens, l'odorat.
« L’objectif ultime du projet Odeuropa est de montrer qu’un engagement critique de notre odorat et de notre patrimoine olfactif est un moyen important et viable de connecter et de promouvoir le patrimoine culturel matériel et immatériel de l’Europe », indiquent les chercheurs. Pour cette phase particulière, des « nez » seront mis à contribution, notamment des travailleurs du domaine de la parfumerie.
C’est aussi l’occasion de replacer dans leur contexte historique des odeurs qui existent toujours, comme celle du romarin, très prisée au XVIe et XVIIe siècle, car on lui attribuait le pouvoir d’éloigner la peste.
Concernant le tabac, il fut introduit en Europe au XVIème siècle et son odeur était alors très exotique. Toutefois, elle s’est rapidement ancrée dans le ” paysage olfactif “ de nombreuses villes européennes. Au XVIIIème siècle, de nombreuses personnes se plaignaient de l’odeur de tabac dans les théâtres. De nos jours, l’interdiction de fumer dans les lieux publics provoque la disparition de cet arôme.
Cette encyclopédie, une première dans le genre, « permettra aux internautes de découvrir comment les odeurs ont façonné nos communautés et nos traditions », explique un communiqué de l’université Anglia Ruskin (Cambridge), une des six structures européennes impliquées dans le projet Odeuropa.
Les échantillons d’odeurs recréées voyageront à partir de l’année prochaine dans différents musées européens, plongeant les visiteurs olfactivement dans le passé. Il y aura des collaborations avec des sites qui font des reconstitutions historiques ou des musées où le public devra associer les odeurs avec le bon tableau.
« Un de nos chercheurs travaille sur des peintures et va essayer de recréer l’odeur de la bataille de Waterloo », s’est enthousiasmé le professeur William Tullett, historien à l’université Anglia Ruskin.
« Ce qui intéresse les gens, c’est de savoir comment c’était de vivre dans le passé, comment ça sentait », explique un chercheur, qui veut « donner aux gens une expérience plus intime du passé », mais aussi « les encourager à penser aux odeurs autour d’eux aujourd’hui ».
Il estime que l’anosmie (perte partielle ou totale de l’odorat) causée par le Covid-19 a remis l’odorat en exergue.
Cependant, le coeur du projet reste la reconstitution de ces odeurs. Les informations brutes seront confiées à des chimistes et des parfumeurs afin de créer une version moderne de ces senteurs disparues. Il sera possible d’aller humer ces arômes dans plusieurs musées européens pour une expérience sensorielle authentique !